Chemins d’Afrique
2021
ou plutôt ses civilisations successives sont des synthèses entre son africanité, son appartenance à l'aire méditerranéenne et les liens qu'elle a de tous temps entretenus avec ce qu'on appelle aujourd'hui le Proche-Orient. De la Libye au Maroc, le Maghreb a toujours eu d'étroites relations avec le Sud du Sahara, car cet immense désert a davantage été une zone de contacts qu'une barrière. Mais elles ont surtout revêtu l'aspect de rapports de domination à partir de ce qu'on appelle le Moyen-Age. La traite négrière arabe qui s'est perpétuée en gros du Xe à la fin du XIXe siècle et qui a constitué l'autre saignée démographique du sous-continent subsaharien à côté de la traite européenne, a été d'une importance majeure. Si bien que la plus grande partie des populations noires des trois pays du Maghreb central sont d'origine servile. Or il existe au Maghreb un quasi-déni de cette histoire. Tout s'est passé comme si l'expérience partagée de la colonisation entre Nord et Sud du Sahara avait permis d'oublier les rapports de domination antérieurs. Les non-dits de
la longue histoire sont un obstacle à l'établissement de relations saines. Cette histoire de rapports inégalitaires a aujourd'hui des prolongements se traduisant par les discriminations que subissent les minorités noires du Maghreb et par un racisme ordinaire parfois assumé jusqu'au sommet de l'Etat, comme en Algérie. Les solidarités tissées à l'époque des luttes de libération et après les indépendances sont oubliées. Pour que les relations entre les deux Afriques retrouvent un cours normal, le Nord du continent doit faire un travail de mémoire auquel il s'est jusqu'ici refusé. Mais les choses avancent aussi. En Tunisie, des associations qui ont vu le jour depuis 2011 luttent contre les discriminations et ont réussi à faire voter une loi pénalisant le délit de racisme. Le Maroc, qui a une politique africaine très active, a régularisé quelques dizaines de milliers d'immigrés originaires du sud du Sahara depuis une dizaine d'années. Mais les Etats maghrébins subissent aussi la pression de l'Europe qui veut délocaliser chez eux le contrôle de l'immigration. Un fait nouveau pourrait
toutefois changer la donne : le Maghreb a cessé d'être seulement une terre de transit pour les migrants subsahariens en route vers l'Europe et devient aussi une terre d'installation pérenne. La question de leur intégration aux sociétés d'accueil ne saurait tarder à se poser. Enfin, sur le plan économique, les deux Afriques ont intérêt à renforcer leurs relations, ce qui permettrait aux deux parties de desserrer l'étau des puissances extérieures au continent. Pour ma part, étant originaire du Nord du continent mais ayant longtemps vécu et travaillé dans sa partie Sud, je n'ai cessé de militer pour que le Maghreb renoue avec son africanité.
matières premières indispensables aux économies européennes. Il convient donc d'y garder des place- fortes et d'essayer de résister aux concurrents nouveaux venus comme la Chine ou la Turquie, entre autres. Avec une population qui commence à peine sa transition démographique et le début de constitution d'une classe moyenne, l'Afrique est aussi un immense marché en devenir dont l'Europe veut rester un fournisseur privilégié. C'est pourquoi, par le biais d'accords de libre-échange léonins, elle tente d'abolir les faibles protections dont sont dotées les économies africaines. Là où ils existent, ces accords doivent être renégociés dans un sens plus favorable au Sud. L'Afrique doit pouvoir sortir des logiques purement extractivistes de ses économies. Côté danger, l'Europe est tétanisée par ce qu'elle désigne comme le péril migratoire, devenu hélas pour elle une question quasi-existentielle, et bien entendu par l'extension du domaine du jihadisme en Afrique. Or aucune de ces deux questions ne trouvera de solution à court terme. On peut donc craindre que les rapports
Quel regard portez-vous sur les relations entre l’Europe et l’Afrique aujourd’hui ?
L'Europegardemalheureusement unevisionpurement instrumentale de l'Afrique. Elle considère ce continent à la fois comme une opportunité et un danger. Côté opportunités, l'Afrique reste un immense réservoir de
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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021
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