Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

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des sultanats hérités des empires peuls du XIXe siècle et profondément musulmans, sans compter la différence des structures économiques et sociales. Et sans parler des conséquences devenues incendiaires d'une double colonisation britannique et

dans d'autres cette conscience est en construction et qu'elle est loin d'être achevée. Cela ne veut pas dire que l'on ne se sent pas du tout camerounais ou congolais. Je pense plutôt que coexistent chez chaque Africain plusieurs strates identitaires.

servent pour construire les romans nationaux qui leur conviennent et pour tenter de construire une mémoire commune pour toute la population d'un pays. Partout dans le monde, les récits nationaux ont été consubstantiels à la création des Etats-nations. Le problème c'est qu'ils revêtent tous la forme d'une épopée : épopée coloniale et "civilisatrice" pour les puissances européennes, épopée de la conquête de l'Ouest pour les Américains, mais aussi épopée de l'empire mandingue de Soundiata pour le Mali ou de l'empire du Mwéné Mutapa au Zimbabwe. Si l'on place l'Egypte dans le vaste ensemble nord-africain, il est évident qu'elle plonge son histoire au plus profond du continent

Ces constructions, politiquement utiles, passent sous silence la complexité, la diversité, les régressions parfois, et il y en a eu. Elles passent également sous silence l'histoire sociale et celle des "subalternes", dont les femmes, selon le terme inventé par les historiens indiens. Avec l'histoire linéaire cantonnée aux épopées des puissants on ne déchiffre pas grande chose. Il existe heureusement aujourd'hui en Afrique une génération d'historiens et d'historiennes qui déconstruisent les récits et travaillent avec la complexité.

française à partir de 1918. Il est bien difficile de faire nation, de faire identité commune avec un tel héritage. Il en est de même pour beaucoup d'autres Etats actuels, comme le Nigéria, ce géant qui a "réuni" si l'on peut dire les royaumes yoruba et igbo, les cités- Etats haoussa et les sultanats peuls au sein d'un même Etat, même s'il est fédéral. Cette négation des réalités antérieures par le découpage colonial peut expliquer bien des conflits d'aujourd'hui. Mais, dès sa création, l'OUA a déclaré intangibles les frontières héritées de la colonisation. C'était

L'essentiel est qu'elles ne soient pas en conflit. Peut-être faut-il dépasser le cadre importé de l'Etat-nation pour reconnaître l'existence d'Etats multinationaux et en tirer les conséquences institutionnelles.

Que nous apprennent 3.000 ans d’histoire de l’Afrique ? Y a-t-il une trajectoire déchiffrable de nos sociétés ?

Quels rapports voyez-vous entre la géographie et l’histoire de l’Afrique ?

La géographie est en quelque sorte la mère de l'Histoire, elle la fabrique en partie.

L'histoire de l'Afrique a plus de 3000 ans, elle est un très vieux continent. Toutes les trajectoires des sociétés sont déchiffrables, au moins en partie, si l'on veut bien prendre en compte

Comment ont évolué les relations entre l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-saharienne au fil du temps, avant et depuis les indépendances ? Elles ont toujours été ambivalentes. Si l'on place l'Egypte dans le vaste ensemble nord-africain, il est évident qu'elle plonge son histoire au plus profond du continent, jusqu'aux sources du Nil, ce fleuve sans lequel elle n'existerait pas, et sa civilisation,

probablement une solution de sagesse en attendant la réalisation de "l'unité africaine" qui n'a jamais été concrétisée. On peut donc estimer que les habitants de certains pays ont une conscience à peu près solide d'appartenir à la nation qu'ils ont en commun alors que

la complexité des évolutions, les interactions entre peuples et cultures, leurs échanges, qu'ils se soient effectués dans le conflit ou dans la paix. Mais l'histoire est la discipline la plus instrumentalisée des sciences humaines. Tous les pouvoirs s'en

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