Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

2021 Chemins d’Afrique

d'inégalité et de développement. Au Chili, j'avais effectivement produit l'une des premières estimations de la répartition des revenus et ma toute première publication académique. J'ai découvert la Côte d'Ivoire plus tard, lors de mon rapatriement en France après un long séjour au Canada à l'Université de Western Ontario pour mon doctorat puis comme Professeur Assistant à l'Université de Toronto. Quel est votre diagnostic de la situation économique actuelle du continent africain en matière de développement et de lutte contre la pauvreté ? Les statistiques longues montrent- elles que les choses vont dans le bon sens ou indiquent-elles plutôt une régression à l’échelle mondiale ? Jusqu'à la pandémie actuelle, il ne fait guère de doute que la pauvreté, telle que mesurée par les seuils de pauvreté utilisés internationalement, a diminué que ce soit an proportion de la population ou en nombre de personnes. La première évolution date de la fin des années 1990 tandis que la seconde est survenue un peu plus tard dans les années 2000. Il s'agit ici de statistiques pour l'ensemble du continent. Les chiffres sont plus favorables pour certains pays et moins pour d'autres. Au niveau mondial, on peut dire que ce réveil du développement africain après deux décennies de stagnation économique ou même dans certains cas de croissance négative, participe de l'accélération de la baisse de l'inégalité mondiale que l'on observe depuis le tournant du millénaire. Depuis les indépendances—grosso modo soixante ans—diverses approches de développement ont été tentées par les pays africains—souvent d’ailleurs avec l’appui des institutions internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Pourquoi ces diverses approches et changements de paradigmes n’ont-ils pas permis à l’Afrique de sortir de la pauvreté ? La question est vaste et mériterait un long développement, d'autant plus que les expériences nationales sont diverses. Je vois quatre temps dans le développement africain, définis par les stratégies mises en œuvre et le contexte externe. Les premières stratégies de développement après les indépendances étaient largement basées sur la substitution d'importation dans des économies de structure coloniale fortement concentrées sur l'exportationdeproduits primaires. Cedéveloppement qui inversait lemodèle colonial en faveur de l'économie domestique et d'une industrialisation légère a permis une croissance rapide.

Pouvait-il être durable ? La réponse n'est pas claire. La faute en est au fait que la période de crise qui suivit ce premier temps peut être attribuée à l'épuisement de cette stratégie mais aussi à la dégradation du contexte extérieur. Dans plusieurs pays, notamment ceux qui avaient opté pour une organisation collectiviste de leurs économies, les gains de croissance observés durant la période de décolonisation se sont assez rapidement estompés laissant apparaître des déséquilibres patents, notamment vis-à-vis de l'extérieur, mais parfois aussi sur les marchés domestiques. Que ce soit dans ces pays ou dans ceux qui avaient adopté un régime économique plus libéral, la baisse des prix mondiaux des produits primaires exportés a exacerbé les déséquilibres extérieurs. Un temps allégés grâce à la hausse des cours des matières premières pétrolières et non-pétrolières qui a suivi le premier boom de 1973, la situation s'est révélée encore plus grave lors d'un nouveau reflux de ces cours à la fin des années 1970, et quelques années plus tard pour le pétrole. La dette accumulée était devenue insoutenable, comme dans un grand nombre d'autres économies en développement en dehors de l'Afrique. L'intervention du FMI et l'avènement de l'"ajustement structurel" porté par le Fonds, la Banque Mondiale et d'autres bailleurs de fonds, marque un virage dans la stratégie de développement. Un ajustement macroéconomique était sans aucun doute nécessaire, mais il a sans doute été trop violent et son coût social excessif. Ce troisième temps du développement africain était donc plein de promesse Dans de nombreux pays, il était tout autant nécessaire d'accorder un plus grand rôle laissé aux mécanismes de marché. La stratégie ultra-libérale derrière l'ajustement était cependant trop extrême. Appliquée sans nuance aux économie africaines, elle n'a pas donné les résultats qu'escomptaient ses promoteurs. Il se trouve en outre que le contexte extérieur restait pour la plupart des pays africains défavorables, de telle sorte que la transition à un nouveau régime économique entraina une stagnation de presque deux décennies. C'est là le deuxième temps, plutôt négatif, du développement africain.

Les quatre temps du développement économique africain Interview d’un économiste important et influent.

Chemins d'Afrique : C omment l’ingénieur-statisticien que vous étiez au début de votre carrière est-il devenu un économiste du développement ? Après vos doctorats à Orléans et à Western Ontario, qu’est-ce qui vous a conduit dans des pays exotiques comme le Chili ou la Côte d’Ivoire ? François Bourguignon : Mon séjour de deux ans au Chili a eu lieu dans le cadre de la coopération technique française avant d'entreprendre mes études de doctorat. En fait, c'est lui qui m'a orienté vers la recherche et, dans la recherche, vers les questions de pauvreté,

François Bourguignon Chaire émérite, Paris School of Economics, Ancien Premier Vice-président de la Banque mondiale. @PSEinfo

Etait-ce la transition, l'expérience des crises

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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021

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