Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

2021 Chemins d’Afrique

production répétitive. Elles ont aussi une incidence positive sur la demande de main-d’œuvre plus qualifiée dans les domaines de la technique, de la création et de l’encadrement. Les décideurs politiques doivent donc adopter des stratégies à même de doter cette main-d’œuvre des qualifications supérieures qu’exige un marché du travail en évolution. Ils doivent soutenir les travailleurs pendant la phase d’ajustement. Ils doivent aussi réformer, renforcer et enrichir les systèmes éducatifs de manière à faciliter l’apprentissage tout au long de la vie active. Comment les décideurs politiques africains devraient- ils prendre en compte ce phénomène ? L’innovation sur le continent et dans le monde est-elle actuellement une entrave ou une menace pour la création d’emploi en Afrique ? Pour faire court, la réponse est que la numérisation, les robots et l’intelligence artificielle ne prennent pas actuellement aux travailleurs africains les emplois dans le secteur manufacturier qu’ils n’ont pas encore ! Au contraire, la situation économique de l’Afrique, arrivée tardivement sur la scène de l’industrialisation, ainsi que sa trajectoire économique, lui ouvrent un éventail d’options de création d’emplois plus large dans les décennies à venir que dans d’autres régions du monde. La mise à niveau industrielle dans les grandes économies émergentes telles que la Chine, le Vietnam et l’Indonésie, ainsi que les gains de productivité apportés aux économies à revenu intermédiaire de la tranche supérieure par la quatrième révolution industrielle et les échanges mondiaux constituent en fait de nouvelles opportunités de création d’emplois pour de nombreux pays africains.

de débouchés économiques rentables offerts par le secteur agricole traditionnel, aucun accès au crédit, des salaires bas, et la baisse de la valeur des terres agricoles, la main-d’œuvre des zones rurales a souvent été contrainte de se déplacer dans les zones urbaines pour travailler dans le secteur informel peu productif. La mobilité a certes eu lieu, mais à des coûts économiques et sociaux énormes. Les travailleurs ruraux qui se sont retrouvés dans les grandes villes n’y ont pas acquis les compétences dont ils avaient besoin pour travailler dans les quelques industries et services offrant un emploi durable et décent. Comme les revenus se sont effondrés dans les zones rurales et que peu de jeunes travailleurs ont souhaité y rester, l’âge moyen des agriculteurs africains a augmenté ces dernières décennies (pour atteindre plus de 60 ans dans certains pays), rendant difficile la croissance de la productivité dans l’agriculture traditionnelle. En raison de leurs mauvaises politiques, de nombreux paysafricains, auparavant autosuffisantsennourriture, sont devenus des importateurs nets et dépensent des milliards de dollars par an en importations de riz, de poissons, de sucre et autres cultures de base. Les industries agro- alimentaires offrent les meilleures opportunités de création d’emplois en Afrique, à tous les niveaux de revenus Sans surprise, les zones rurales africaines sont restées anormalement pauvres et sans emploi, alors que le continent gaspillait de précieuses devises pour importer des denrées alimentaires (65 milliards de dollars US en 2017, selon la CNUCED). Il reste pourtant en Afrique 65 % de terres arables pour nourrir le monde. Le changement requis nécessite une évolution des mentalités et de meilleures politiques économiques. Premièrement, les décideurs africains et les acteurs du développement devraient cesser de considérer l’agriculture comme une activité de développement ou un secteur social permettant de gérer les populations

L’économie mondiale a radicalement changé depuis les années 80 et de nouvelles possibilités de croissance et de création d’emplois sont maintenant offertes à l’Afrique. Les économies émergentes et en développement représentent désormais plus de la moitié du PIB mondial (exprimé en parité de pouvoir d’achat). De nombreux pays africains peuvent tirer parti de la hausse des salaires dans le secteur manufacturier dans des pays à revenu intermédiaire grands et performants, tels que la Chine. Ils peuvent en effet attirer une part importante des quelque 100 millions d’emplois qui devront être délocalisés. Il existe également de nombreux signes de sous- traitance des services, alors que des centres d’appel et des services financiers font leur apparition dans des pays tels que le Kenya et le Nigéria. Dans le secteur agricole également, l’évolution des marchés

mondiaux des produits alimentaires, notamment l’augmentation de la demande et des prix, devrait également ouvrir de nouvelles perspectives de création d’emplois en Afrique. Outre le potentiel en termes d’industrie légère, de nombreux pays africains sont dotés de vastes terres arables (souvent avec un taux de culture inférieur à 10 %) et riches en minéraux (pétrole, cuivre, or, diamants, charbon, fer, uranium, nickel, chrome, étain, platine). Le défi consiste à transformer au mieux les ressources naturelles inexploitées en actifs de production dans des économies diversifiées génératrices d’emplois et de revenus. Les leçons tirées d’autres pays qui ont exploité avec succès les mêmes possibilités de diversification et d’industrialisation de leurs économies peuvent éclairer la conception et la mise en œuvre des politiques. jour dans les pays en développement seront anéantis par l’automatisation. » Vision plutôt décourageante mais heureusement basée uniquement sur des calculs spéculatifs. Les trois premières révolutions industrielles nous ont appris que si l’innovation technologique détruisait certains emplois existants, elle en créait aussi de nouveaux. En d’autres termes, les technologies modernes réduisent la demande de travailleurs peu ou moyennement qualifiés pour effectuer des tâches routinières, notamment administratives et de

Comment cela peut-il se concrétiser ?

Considérons l’emploi dans le secteur agricole. Partout ailleurs dans le monde, l’histoire, étayée par des analyses théoriques et confirmée par des études empiriques, est la suivante. Une fois l’automatisation accomplie, les gains de productivité sont généralement si importants que les revenus du secteur diminuent constamment, principalement en raison de l’inélasticité de la demande en produits agricoles. Dans les pays et les régions où la mobilité serait parfaite, les travailleurs agricoles excédentaires se déplaceraient alors de façon presque ininterrompue vers le secteur urbain et les autres secteurs industriels et de services. Une transformation structurelle interviendrait alors avec un coût minimum du processus d’ajustement.

Prédictions vaudou sur l’avenir du travail Les développements récents de la numérisation, de l’intelligence artificielle et de la robotique ont renouvelé le débat sur les implications de ces avancées technologiques en matière de création d’emploi, en particulier dans les secteurs à faible niveau de qualification qui présentent toujours des opportunités de croissance substantielles pour les pays africains à faible revenu. Pour les économistes conventionnels, l’heure est plutôt au pessimisme. Il y a quelques années, le président de la Banque mondiale déclarait sans ambages : « Nous estimons que les deux tiers du total des emplois existant à ce

En Afrique, l’évolution de l’emploi dans l’agriculture n’a pas été aussi pensée et harmonieuse. Avec peu

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