Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

2021 Chemins d’Afrique

Un plan de création d’emplois décents

d’œuvre occupant un emploi précaire – définie par l’OIT comme la somme des travailleurs indépendants et des travailleurs familiaux – est la plus élevée. Les définitions officielles du chômage et de l’emploi permettent une analyse comparative, mais ne reflètent pas les réalités du marché du travail des pays à faible revenu où l’économie est souvent dominée par le secteur informel. Par ailleurs, ces définitions n’ont donc aucune utilité opérationnelle pour les décideurs. En Afrique subsaharienne, 70 à 90 % de la population active est employée dans des emplois non-salariés. Environ 80 % de ces emplois non-salariés sont agricoles, 10 à 30 % d’entre eux se trouvent dans des ménages ou des micro-entreprises (valable pour l’emploi principal uniquement). Environ un tiers des personnes qui n’ont pas d’emploi salarié font généralement état de multiples activités économiques au cours de l’année, auprès d’entreprises agricoles et non agricoles. Presque tous les membres de la population active appartenant à des ménages à faible revenu exercent des activités dans la sphère du ménage : agriculture familiale et très petites entreprises non agricoles, communément appelées entreprises informelles. Par rapport aux autres régions du monde en développement, et en chiffres absolus, la croissance du PIB africain par habitant n’a pas été suffisante et l’emploi enAfriqueest restémajoritairement informel au cours des dernières décennies. La part des personnes sous-employées, c’est-à-dire des personnes qui ne parviennent pas à trouver un travail à temps plein avec un salaire décent ou les travailleurs qualifiés contraints d’accepter des emplois peu qualifiés et à faible productivité, est la plus élevée au monde, à savoir 66 %. Par conséquent, le continent africain (notamment l’Afrique subsaharienne) est la région du monde comptant le moins de salariés en proportion de sa population active. La part des personnes sous-employées, c’est-à-dire des personnes qui ne parviennent pas à trouver un travail à temps plein avec un salaire décent ou les travailleurs qualifiés contraints d’accepter des emplois peu qualifiés et Les entreprises familiales génèrent la moitié des nouveaux emplois en Afrique.

à faible productivité, est la plus élevée au monde, à savoir 66 %10. Par conséquent, le continent africain (notamment l’Afrique subsaharienne) est la région du monde comptant le moins de salariés en proportion de sa population active. Le secteur des entreprises familiales, encore peu étudié, génère la majorité des nouveaux emplois non agricoles dans la plupart des pays africains, même en période de forte croissance économique. Les données issues des enquêtes auprès des ménages montrent que ces dernières décennies, le secteur informel (non agricole) a été une source croissante d’emploi pour une grande partie de la jeunesse africaine, mais également pour les travailleurs plus âgés qui tentent de saisir les opportunités d’entrepreneuriat. La contribution du secteur informel au PIB et à la réduction de la pauvreté a été considérable, et il est devenu un important point d’entrée sur le marché du travail pour de nombreuses personnes. Pour les jeunes des grandes villes comme Abidjan, Addis- Abeba, Dar es-Salaam, Douala, Kinshasa, Lagos ou Nairobi, le secteur informel est en effet la seule option viable pour gagner modestement sa vie, même pour les jeunes diplômés du secondaire, de l’enseignement supérieur ou ayant une formation professionnelle. Comment expliquer cela ? Le nombre d’employeurs dans le secteur formel est limité, et il existe un écart entre l’offre et la demande de compétences sur le marché du travail. La partie Nord de l’Afrique affiche généralement des taux de chômage et de sous-emploi parmi les plus élevés au monde, notamment à cause de taux très élevés chez les jeunes et les femmes. Ces deux groupes sociaux se heurtent à de graves obstacles structurels qui se traduisent par de fortes disparités en matière d’éducation et une inégalité des chances. Le taux de personnes « NEET » (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire) chez les jeunes d’Afrique du Nord est le deuxième plus élevé au monde. Les taux de participation à la population active sont très faibles, et même les plus bas au monde pour les femmes d’Afrique du Nord. Cela traduit une mobilisation précoce dans le travail domestique non rémunéré, et des contraintes institutionnelles et culturelles. En Afrique, la transformation structurelle, c’est-à- dire la réaffectation de l’activité économique et de la main-d’œuvre des secteurs les moins productifs de l’économie vers des secteurs plus productifs, se fait trop lentement. À l’exception de quelques économies exportatrices de pétrole, aucun pays n’est jamais devenu riche ni n’a créé suffisamment d’emplois pour sa main-d’œuvre sans s’industrialiser. L’industrialisation est pourtant l’un des principaux

Célestin Monga Actuellement professeur de politiques publiques à l’Université Harvard (Kennedy School of Government). @CelestinMonga

Cet article répond à quatre questions : Quelles sont les caractéristiques et tendances principales des marchés du travail en Afrique ? Pourquoi les stratégies et politiques traditionnelles de lutte contre le chômage et le sous-emploi ont-elles été inefficaces ? Quelles

politiques macroéconomiques faut-il suivre pour stimuler l’emploi sur le continent ? Et enfin, quelles stratégies, institutions et instruments sont les plus efficaces dans la recherche d’emplois décents ?

Spécificités du marché du travail en Afrique Lesdéfinitionsofficiellesduchômageetdusous-emploi sont largement acceptées parmi les économistes et les statisticiens, mais leur signification concrète et leur véritable sens font encore l’objet de débats parmi les décideurs. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) définit un chômeur comme un membre de la population active répondant aux critères suivants : ne pas avoir travaillé au cours des sept derniers jours, même pendant une heure ; être à la recherche d’un emploi ; et être disponible pour travailler. Les sous- employés sont les chômeurs, additionnés de ceux qui travaillent à temps partiel (moins de 30 heures par semaine) et qui souhaitent travailler à temps plein.

Le plus étonnant, avec les chiffres officiels du chômage dans les pays africains, c’est qu’ils montrent un tableau bien plus positif que celui des économies les plus avancées. En 2018, les taux de chômage officiels de l’OIT étaient les plus bas du monde dans les pays suivants : Niger, 0,3% ; Rwanda, 1,0 % ; Togo, 1,7 % ; Tanzanie, 1,9 % ; Bénin, 2,1 % ; Burundi, 1,5 % ; Tchad, 2,2 % ; Éthiopie, 1,8 % ; Madagascar, 1,7 % ; Libéria, 2,0 %5 . Il n’est pas surprenant que les décideurs aient eu du mal à convaincre leurs électeurs que la demande de main-d’œuvre sur les marchés était dynamique à ce point ! L’Afrique est aussi la région du monde où la proportion de la main-

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