Chemins d’Afrique
2021
Pandémie: quelles leçons?
L a pandémie a frappé durement le monde, entraînant un très grand nombre de décès. Les gouvernements ont dû changer de cap et réaffecter des fonds pour soutenir le secteur de la santé et les personnes rendues vulnérables par la pandémie. Les économies les plus développées ont pu injecter d'énormes sommes d'argent d’aide fiscale afin d’aider à relancer leurs économies. Les États-Unis ont mis de côté 1. 900 milliards de dollars supplémentaires en soutien fiscal et d'autres grands pays comme le Japon et le Royaume-Uni ont alloué des montants tout aussi élevés. Malheureusement, pour de nombreux pays en développement et à faible revenu, le soutienbudgétaire nécessaire reste inaccessible. Cela s'explique en grande partie par le fait que nombre de ces pays ne disposent pas d'un espace fiscal qui leur permettrait d’absorber les chocs et de faciliter la reprise économique. Les pays qui parviennent à mobiliser et à réallouer des fonds le font souvent au détriment d'autres domaines essentiels tels que l'éducation et les dépenses sociales. L'investissement dans les infrastructures, qui est essentiel pour atteindre une croissance durable à long terme, est également compromis. L’Afrique subsaharienne a enregistré une contraction de 1,9 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2020, la plus forte depuis que ces statistiques sont compilées. La région devrait connaître une reprise sensible en 2021, à 3,4 %. Cette reprise sera due surtout à l’effet mécanique de rebond. Une forte croissance d'environ 4 % est prévue en 2022. Ces projections comportent sont cependant sujettes à caution car les performances de nombreuses économies africaines seront influencées par l’ampleur des infections et la
virulence de nouvelles souches du virus du Covid-19, qui semblent plus infectieuses. Les fermetures et les mesures de confinement ont causé des ravages dans de nombreux pays du continent, étouffant la croissance et ralentissant les efforts de relance des économies. L’Afrique demeure tout de même la région du monde où le nombre de cas d'infection par le Covid-19 et de décès est le plus faible. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le continent enregistre environ 2 décès par million d'habitants, alors que l'Europe en compte environ 202. Les données du continent africain ne reflètent peut-être pas vraiment la réalité sur le terrain, car les tests ne sont pas aussi étendus que ceux des pays développés. Dans certains pays comme la Tanzanie, l'existence même du virus est toujours débattue. Néanmoins, les taux de mortalité sur le continent ont été faibles. L’impact de la pandémie sur les économies africaines est particulièrement notable dans les perturbations des chaînes de valeur mondiales et le ralentissement des échanges avec les principaux partenaires commerciaux du continent, notamment l'Union européenne, les États-Unis et la Chine. Les politiques de confinement et la faible productivité des économies africaines ont également aggravé le choc de la pandémie. Les mesures de confinement ont réduit la demande d'exportations africaines. De plus, elles ont réduit de manière drastique les flux d'investissements directs étrangers et les montants de l'aide au développement. Les pays qui dépendent largement du tourisme, comme le Maroc, la Tunisie et les Seychelles, sont parmi les pays les plus touchés du continent. La pandémie a pratiquement bloqué les voyages—de nombreux pays ont fermé leurs
frontières ou mis en place des mesures restreignant les déplacements. Or, les pays qui dépendent du tourisme ne disposent pas d'une grande marge de manœuvre budgétaire pour apporter un soutien financier à leur secteur privé. Les entreprises évoluant dans le secteur touristique ont du mal à se maintenir à flot et suppriment des emplois. Le vaste secteur informel reste un système de survie important. Cependant, son succès est intrinsèquement lié aux performances de l'économie formelle. Par conséquent, la perte de revenus dans le secteur formel causée par les fermetures d'usines dues à la pandémie aura un impact direct sur la capacité des ménages du secteur informel à consommer. Les envois de fonds vers les pays africains ont diminué en raison de la pandémie. La Banque mondiale prévoit que les envois de fonds diminueront d'environ 14 % en 2021. Les envois de fonds ont constitué la source la plus importante et la plus stable des flux financiers internationaux depuis 2010, représentant environ un tiers du total des entrées financières extérieures. Les ravages causés par la pandémie sont donc considérables et le chemin vers la reprise sera difficile. Celle-ci sera à plusieurs vitesses avec certains pays décollant plus vite que les autres, en fonction de leur accès aux financements. La Côte d'Ivoire par exemple a testé l'appétit des marchés en émettant une euro-obligation de 1 milliard d'Euros sur 12 ans le 25 novembre. Le prix de l'obligation a été fixé à un rendement record de 5 % et il a été sursouscrit cinq fois. La Côte d'Ivoire pourrait à nouveau s'endetter en 2021, ce qui augmenterait sa marge de manœuvre budgétaire.
Thabi Leoka @thabileoka Membre du Conseil économique présidentiel d’Afrique du Sud.
76
77
Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021
Powered by FlippingBook