Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

2021 Chemins d’Afrique

dominant de certains écologistes occidentaux en faveur de la dé-croissance—y compris en Afrique ? La décroissance n'est pas possible dans un monde inégalitaire où la principale source d'amélioration des moins favorisés réside dans la croissance plutôt que dans une redistribution nécessairement conflictuelle et dommageable au principe même de nation. Imaginer le développement de l'Afrique dans un contexte de décroissance, demanderait un changement radical de notre conception intrinsèque du développement à un moment où une grande partie de la population africaine peine à s'extraire de la pauvreté extrême et où le niveau de vie moyen du continent est moins du dixième des pays à haut revenu. Les prévisionnistes affirment que l’Afrique concentrera de plus en plus la pauvreté mondiale dans les décennies qui viennent. Ces tendances sont aggravées par les effets de la pandémie du Covid-19. Comment le continent peut-il relever ces défis dans un contexte de ressources financières internes limitées et de croissance démographique élevée ? La croissance démographique est l'élément majeur de ces "prévisions". Bizarrement, c'est une dimension des stratégies de développement dont on parle peu. La pandémie touche pour l'instant la plupart des populations de la même façon. Deaton montre que l'inégalité mondiale est peu affectée, ou même continue de diminuer malgré la pandémie. Je montre la même chose tout en reconnaissant que l'incertitude de ce que l'on peut dire aujourd'hui sur cette question est considérable. On ne relèvera pas le défi de développement du continent africain à court ou moyen-terme - c’est-à-dire dans la décennie qui vient. Mais on peut contribuer à modifier les conditions initiales en améliorant le capital humain, les infrastructures et certaines institutions qui permettront plus tard à tel ou tel pays de mettre en œuvre des stratégies efficaces de développement tirant avantage des opportunités qui pourront se présenter.

ponctuelles et à leur mise en œuvre effective. C'est vrai que la Corée de Park a rompu avec les idées reçues de l'époque en privilégiant l'industrie, et qui plus est l'industrie lourde, par rapport à l'agriculture comme point de départ, mais son vrai succès a été de mener à bien cette stratégie, au prix, il est vrai, d'un autoritarisme que l'on critiquerait fortement aujourd'hui. Que savent les Chinois que les Indiens et les Africains ne savent pas ? Y a-t-il une exception africaine dans la quête des transformations économiques ? Il y a un contexte naturel, des conditions initiales et des institutions complètement différents. Ce n'est pas une question de savoir. Lors de votre leçon inaugurale au Collège de France en 2013 sur le thème « Pauvreté et développement dans un monde globalisé », vous avez paru plutôt optimiste. Les pays industrialisés et les institutions financières internationales peuvent-ils véritablement jouer un rôle positif dans le développement du continent africain ? Après tout, l’Occident est présent en Afrique depuis au moins Vasco de Gama, c’est-à-dire depuis le 15 ème siècle… Je ne suis pas sûr que l'ambition de Henri le Navigateur lorsqu'il a financé l'expédition de Vasco de Gama ait été la réduction de la pauvreté en Afrique. Le commerce puis la prédation sont rapidement devenus l'objectif majeur. Aujourd'hui, oui les pays industrialisées peuvent "aider" véritablement au développement par la mise à disposition de ressources de diverses natures – ressources, mais aussi technologie, ouverture de leurs marchés, de leurs frontières, .. Sont-ils disposés à le faire ? Une part importante de leur population les encourage dans ce sens. Quant aux institutions financières internationales, elles peuvent aider de la même façon, tout en se gardant d'imposer des modèles et d'empiéter sur les décisions des gouvernants.

En tant qu'étude du processus de développement, elle ne peut pas être un échec. Mais si on l'interprète comme une doctrine ou une stratégie particulière de développement, alors, on peut probablement dire qu'elle échoue effectivement à expliquer en même temps l'Angleterre, l'Allemagne ou les Etats-Unis du 19ème siècle, le Japon du 20ème, la Corée de la fin du 20ème, la Chine et le Vietnam du début du 21ème siècle. L'enseignement de la recherche économique de ces 30 dernières années a montré qu'il n'existait pas un modèle unique de développement. Est-ce un échec ? Je ne le crois pas. Plusieurs éléments de lamécanique oudu "processus" de développement sont universels, la différentiation vient de la façon de les mettre en œuvre, et dans une large mesure des institutions en place. D'une certaine façon, il me semble que si on les interrogeait sur la stratégie économique à suivre pour le développement d'un pays, la plupart des économistes donneraient aujourd'hui une réponse sensée, mais spécifique au pays. (L'idée que la stratégie puisse être la même d'un pays à l'autre aujourd'hui ne se trouve que dans les bureaucraties comme la Banque Mondiale.) Mais cette stratégie elle-même relèvera de la seule mécanique du développement, alors que son succès demande au sein d'un pays les institutions et une économie politique conduisant aux bonnes décisions

Que pensez-vous du discours de plus en plus

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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021

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