Chemins d’Afrique
2021
moi, et ils se voient eux-mêmes : île et horizon, L’île en moi est émoi et crevasses Multitudes de ruisseaux qui se précipitent joyeusement dans le Grand Tout Petites chenilles multicolores L’île en moi est sable fin et arbres gigantesques couronnées de fleurs à la délicatesse d’aquarelle L’île en moi est sauvage et indomptable Dangereuse aussi L’île en moi est présence intense, ici et maintenant Sans ailleurs, sans demain, sans autre A la fois elle et enceinte d’elle Le village n’est pas l’île, pas même les pêcheurs où les écoliers maraudeurs de mangues L’île en moi est île Incomplète parce que pleine Désertée comme on quitte la table après le repas Les îles sont faites pour être prises et laissées Aimées et abandonnées. Laissées sans cesser d’être prises Abandonnées sans cesser d’être aimées Si j’étais l’horizon, je ne connaitrais jamais cette île, et si je suis moi je ne retournerai pas souvent sur mon île, je quitterai bientôt le village, je ne sais pas si je te retrouverai, je ne suis pas encore partie et je ne suis pas encore arrivée, je suis sur la route rouge cahoteuse où la tête cogne, cogne encore, je suis dans le creux boueux dont on ne sait pas si l’on pourra sortir, sortir encore, je suis à chaque intersection douteuse, sur chaque pont au-dessus des rivières limpides, dans chaque maison bordée de ces fleurs rouges dont je ne connais pas le nom et face à cet homme qui ne me connait pas et qui joue son rôle trop bien et je m’entends rire lorsqu’il demande si je fuis, si je m’apprête à passer la frontière, rire et répondre que je suis attendue au village, que je ne fuis pas, deux mensonges encore possible puisqu’il reste une dizaine de virages avant la vérité et la fin du pays. Et s’ouvrent les routes en moi S’ouvre la possibilité de toi, Le miracle de nous. Il y a l’appel de l’île, la promesse de l’horizon Et puis toi, Les routes forcément plurielles qui mènent à nous La séduction du chemin dans ce qu’il exige d’abandon Dans ce qu’il charrie de crainte Se tromper Perdre tout repère Se heurter aux obstacles Appréhender la nuit Appeler en vain
Se louper, se réinventer Revenir sur ses pas S’apercevoir que tourner en rond est aussi avancer Accueillir les contradictions, Accepter la confusion et le vertige Et peut-être à un détour, un embranchement Le village, l’île et son horizon La route ne promet rien Elle n’offre pas plus que ce qu’on est venu chercher Le village, l’île, l’horizon Toi, nous.
Extrait d’un recueil de poésie à paraître
« L’île, l’horizon, la route » Par Hemley Boum et Anne-Sophie Stefanini
La solitude du voyage L’ivresse du voyageur
Photo : Gauz
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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021
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