Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

2021

d’une longue tradition littéraire écrite. « Le mouton broute où on l’attache », disent les Malinkés. Cela n’a pas empêché leurs auteurs de réinventer une voie artistique, une langue, un regard qui, tout le monde le reconnaît, ont apporté un souffle nouveau aux canons littéraires de la langue française. La primauté n’est pas le seul critère qui les a élevées au rang de « Classiques ». La colo [colonisation] terminée, le cacao de Côte d’Ivoire appartient aux Ivoiriens, l’uranium du Ténéré est nigérien, le manganèse du Fouta guinéen. Mais, « Le devoir de violence », « Les bouts de bois de Dieu », « La carte d’identité » sont encore de droit colonial. Oui « colonial », dans le corpus francophone, il n’existe pas d’autres adjectifs qualificatifs pour désigner cet état de fait. La lutte n’est donc pas achevée. Rendre l’indépendance à ces œuvres qui continuent de façonner les connaissances et les imaginaires africains est un devoir, une responsabilité historique. La seule question c’est : comment ? Une clause de type impérial qui existe encore dans la plupart des contrats d’édition français (signés par des Africains ou pas) veut que l’écrivain cède ses droits sur toute la planète, de Saint-Germain-des-Prés aux îles Vanuatu. Il n’y a de négociation territoriale qu’en cas de traduction ou de réédition. Nous* ne remettons pas en cause cette pratique. Après tout, chacun fait ce qu’il veut chez lui. Nous* appelons donc à la surrection d’un fonds africain pour racheter aux éditeurs français les droits africains de ces œuvres afin de les rendre à leurs ayants droit. Ces classiques, il n’y en a pas des centaines. Pour l’ensemble du continent, cela coûterait à peine l’équivalent de quelques dizaines de limousines ministérielles ou voyages en jet privé dont les officiels nègres ne se privent jamais. En retour, les ayants droit s’engageraient à négocier dans chaque pays des rééditions avec des maisons locales. Les éditeurs français pourront continuer d’exploiter ces œuvres dans leur pays. Elles resteront toujours détentrices de « leurs droits » planétaires… sans l’Afrique. D’ailleurs, si le fonds est suffisamment profond, pourquoi ne pas imaginer racheter à 100 % l’ensemble de tous les droits pour tous les territoires allant du soleil jusqu’à la Sirius des Dogons. On ne demande pas de nous* le rendre. Nous* allons le prendre

GAUZ R entrée scolaire. À Dakar, pour Sokhna, « L’aventure ambiguë » de Hamidou Kane est frappée d’un 10-18 [10-18 is the logo of the French publisher of the book]. À Niamey, « L’enfant noir » de Laye alourdit de Plon [Plon is the logo

of the French publisher of the book—he is playing on words/sounds “plomb” which is heavy] le sac de Makéda. À Abidjan, on s’éclaire au Seuil avec « Les soleils des indépendances » de Kourouma et on achète à Hachette « Le vieux nègre et la médaille » de Oyono. Douala, N’Djamena, Lomé, Ouaga, partout au sud francophone du Sahara, les classiques de la littérature éveillent, édifient, enseignent en étant frappés du sceau de maisons d’édition concentrées le long de la Seine. Une vision esthétique, politique, philosophique, historique du monde s’est ainsi constituée sur plusieurs générations.

Front de Libération des Classiques Africains

Gauz Ecrivain.

Peu de gens relèvent la charge symbolique d’un tel anachronisme.

Ces œuvres sont à la fois causes et conséquences de la colonisation. Elles ont « naturellement » été portées par les maisons d’édition d’une métropole héritière

@gauz04

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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021

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