Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

2021

Ray Lema, Yaya Ray comme je l’appelle, était aussi une sommité artistique du pays et vivait à Kinshasa. J’étais allé lui rendre visite à son domicile et lui présenter mes respects. Il m’a prêté une de ses guitares, que j’ai gardée très longtemps, presque comme un talisman (merci Yaya Ray !). Puis il y a eu Tonton Manu Dibango ! Il était arrivé de Paris pour un mémorable concert à Kinshasa. J’étais toujours guitariste dans le groupe de Abeti mais j’ai la chance de l’accompagner sur scène. J’avais éprouvé ma première grosse trouille en voyant ce grand monsieur en face de moi. Tous les jeunes Africains rêvaient de le rencontrer. Ce fut dur moment, mais aussi un grand moment. Tonton Manu fut très indulgent à mon égard. A la fin de ce fameux concert où je m’étais produit avec lui, il m’avait dit une seule phrase : « rendez-vous à Paris !... » Ces mots m’ont hanté. Quelques années plus tard en effet, je me suis retrouvé avec lui à Paris. Sacré visionnaire ! Il nous a quittés le 24 mars 2020, emporté par le Covid-19. Ma peur c’est de perdre les gens que j’aime, mes enfants et mes amis proches. Je m’en inspire pour conseiller moi-même les jeunes : il ne faut jamais abandonner ses rêves. Mais pour les réaliser, il faut travailler avec une intensité au- delà de ce que d’autres considère comme normale. Mon conseil aux jeunes artistes est de ne jamais abandonner leurs rêves, de rechercher l’excellence en repoussant les limites du connu… Il faut être très curieux musicalement. Mon expérience comme juge à l’émission The Voice Afrique Francophone est incroyable. Je ne me doutais pas une seule seconde qu’il y avait autant de jeunes chanteurs en Afrique, aussi bien sur le plan des capacités vocales que sur le plan parfois oublié de la personnalité artistique. J’ai pu observer de visu la volonté et la force de travail de ces jeunes dans des environnements nouveaux, loin de leurs pays d’origine. J’ai toujours aimé transmettre mes connaissances et cette émission m’en offre l’occasion, même si le temps qui nous est imparti est assez limité. Le développement de l’industrie musicale en Afrique permettrait de faire éclore cette immense pépinière de talents, créerait beaucoup d’emplois, et serait une grande source de nouveaux revenus. Il faudrait donc que des sponsors amoureux de la musique et du business culturelle investissent dans la création et l’imagination. J’ai évidemment eu des échecs dans ma carrière— ou, plus exactement, des initiatives qui n’ont pas eu le succès que je l’espérais. Je pense par exemple à mon troisième album, intitulé simplement « 3 ». Je

m’y étais investi corps et âme. J’avais passé des nuits entières au studio pendant huit mois, Au final, le patron du label avec je travaillais à l’époque me dit carrément que le produit final de ce travail n’était pas ce qu’il attendait, et que ce travail ne correspondait pas à ma personnalité... Quel choc ! Je n’ai pas supporté une telle réaction, que je considérais comme du paternalisme et de l’arrogance. A l’époque, j’étais très jeune et très fougueux. Je me suis levée de la table et lui ai dit : « Je ne vois pas comment nous pouvons travailler ensemble si vous ne croyez pas en mon projet », et j’ai claqué la porte. Je suis parti. Tout simplement… Cela m’a couté beaucoup d’années de silence, et de grosses difficultés à reprendre ma carrière car de personnes dans le métier ont interprété mon attitude comme de l’arrogance. Pourtant, je me protégeais simplement, estimant que quelqu’un qui ne croit pas en mon projet ne peut pas s’y investir véritablement, aussi bien sur les plans humain et financier, et le porter le plus loin possible. Je ne regrette pas trop mon acte. Mais avec le recul et la maturité, je vois les choses

différemment. Si cela se produisait aujourd’hui, je ne réagirais pas de la même manière. Quelles leçons tirer de mon parcours ? Difficile à dire. Il est sans doute trop tôt pour en faire une évaluation complète et énoncer des jugements définitifs. Je peux cependant dire une chose : il n’y a pas de mystère dans la réussite. Il faut travailler énormément et ne jamais essayer de ressembler aux autres, même si c’est complexe et compliqué à faire... Le succès est un couteau à double tranchant : il a ses bénéfices et ses inconvénients. Quand tu as du succès, tu perds une certaine liberté et les gens attendent beaucoup de toi. Ils te traitent différemment, ceci jusqu’au jour où le succès s’estompe et s’évanouit… Le plus difficile dans la vie d’un artiste est de se confronter aux réalités du quotidien quand il ne dispose pas de moyens suffisants pour exister dans son travail et montrer son talent. Et en même temps cette angoisse douloureuse est aussi le moteur de l’inspiration. Peut-être que la souffrance a été inventée pour que les musiciens aient de la matière pour produire des chansons atemporelles…

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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021

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