Chemins d’Afrique
2021
Les êtres humains ne sont qu’un maillon de cette organisation qui doit composer avec les non humains, c’est-à-dire les végétaux et les animaux, afin de préserver l’équilibre de la vie sur Terre. Cette religion est à l’origine de la médecine traditionnelle qui, de nos jours, occupe encore une place importante en milieu rural. Bien souvent, les villageois consultent d’abord un guérisseur, avant de se tourner vers l’hôpital. Soit parce que celui-ci est trop éloigné de chez eux, soit parce que les médicaments pharmaceutiques coûtent trop cher, soit parce qu’ils n’ont pas confiance en la médecine conventionnelle. Les hôpitaux sont considérés comme des mouroirs étant donné leur état de délabrement. Malheureusement, avec la « modernité », l’animisme est considéré comme une pratique païenne et rétrograde, réduite à la sorcellerie. Or dans la plupart des pays africains, on se rend compte à présent que nous avons jeté le bébé avec l’eau du bain. Nous avons perdu une occasion de mettre en valeur des croyances qui sont respectueuses de la nature et qui privilégient une médecine adaptée au mode de vie de la majorité des Africains. Il nous faut donc repenser notre environnement et voir ce que nous pouvons tirer de positif dans un passé certes révolu, mais dont certains aspects peuvent nous aider à favoriser une transformation de la santé publique à long terme. Nous devons trouver des solutions nouvelles, adapter le meilleur, reconnaître les compétences de ceux qui sont proches du plus grand nombre et encourager le dialogue sur le terrain. L’’inégalité associée au réchauffement climatique pèse lourdement sur le contient. Si les pays africains sont parmi les plus faibles émetteurs de CO2, ils comptent néanmoins parmi ceux qui souffrent déjà le plus des hausses de température de la planète. Leur situation ne fera que s’aggraver si les efforts en faveur de l’environnement ne s’accentuent pas. Car du côté des pays riches, les dernières innovations pourront réduire les effets néfastes de la pollution (voitures électriques, énergies renouvelables, épuration de l’air, agriculture biologique, recyclage des déchets, etc.), alors que du côté des pays pauvres, une technologie quasi non existante ne pourra pas arrêter réformer et à sauver son propre système Le capitalisme n’arrive pas à se
le désastre. Pis, ils deviendront le dépotoir de toutes les technologies obsolètes de l’Occident, comme on le constate déjà avec le « dumping » de déchets toxiques variés. Aujourd’hui, les réfugiés climatiques augmentent au côté des migrants qui fuient la guerre, la pauvreté ou les catastrophes écologiques. Nous allons assister à un repliement encore plus profond des pays développés sur eux-mêmes et à un renforcement de leurs frontières. Le grand paradoxe, c’est que face au déséquilibre qui ébranle le monde, le capitalisme n’arrive pas à se réformer et à sauver son propre système pendant qu’il est encore temps. Encore une fois, comme la pandémie de la Covid-19 le montre de façon tragique, les infrastructures économiques sont bien plus fragiles que l’on ne le pensait et elles vont s’enrayer de plus en plus souvent. La société de consommation bat déjà de l’aile face à ses contradictions internes, aux menaces du terrorisme et à la grave crise écologique. Le monde sera holistique ou il se perdra. Les inégalités entre le Nord et le Sud sont telles qu’il est impossible de demander aux pays moins développés de ne pas exploiter leurs ressources naturelles non renouvelables. En effet, ils veulent avoir accès aux revenus que cela génère et n’acceptent pas, même s’ils le pouvaient encore, de devenir des réservoirs écologiques ou des poumons d’oxygène pour la planète. Un meilleur développement humain en Afrique passera donc nécessairement par l’enjeu écologique. En tant qu’écrivaine, je me pose une question : que peut la littérature ? Beaucoup d’écrivains sont connus pour leur engagement politique. Cependant, le combat écologique n’est pas encore devenu primordial, alors qu’il y a un rapport évident entre politique et environnement. Les conflits, la mauvaise gouvernance et la corruption ont un effet dévastateur sur l’environnement partout en Afrique. Pour qu’une conscience écologique se développe durablement, pour qu’elle soit renforcée et disséminée, il est essentiel que les arts accompagnent le travail des scientifiques, des experts et des
représentation du monde et lui offrir des récits de transformation. La bataille se situe sur un terrain invisible et la littérature peut façonner des identités communes, conscientes d’un destin collectif. Sans intention de remplacer la science mais en insistant sur la dimension sensible incarnée. C’est l’argument que développe l’économiste Serge Latouche dans son essai intitulé Décolonisons l’imaginaire (2011). En effet, écrire, conter, imaginer et faire ressentir sont des actes essentiels si l’on veut hâter le changement qualitatif.
Une littérature qui, par ailleurs, face à l’immensité de la crise planétaire impliquerait un
travail d’écriture permettant au Nord et au Sud de prendre conscience de leur destin commun. Et cela en respectant la pluralité et
la diversité des contextes. Au final, il s’agirait de ce que l’on pourrait appeler, selon l’expression de Malcom Ferdinand, « Les arts de l’écologie du monde ».
décideurs. La littérature a la capacité d’aller là où la science s’arrête. C’est un mode complémentaire qui peut mieux amener les individus à une remise en question du statut quo. Si l’accumulation de données
scientifiques est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour traiter pleinement la question écologique. Il faut également agir par l’imagination, toucher l’être dans sa
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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021
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