Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

2021

L'intégration autour des CER était, et est toujours, une bonne politique, mais pour prospérer, les CER doivent avoir une base économique suffisamment solide. En effet, des contacts plus fréquents, favorisés par un accès préférentiel au marché, augmentent les coûts d'opportunité des conflits (il devient alors plus coûteux de s’engager dans des conflits que d’exercer des activités économiques rentables). Même si les guerres se déroulent principalement entre voisins, une intégration renforcée se traduisant par plus d’échanges bilatéraux est un bon principe économique : elle atténue les perspectives de gains liés aux conflits. Mais cela est-il suffisant ?

et pauvres en ressources), de réussir, des fonds de compensation sont nécessaires (comme ce fut le cas pour les deuxième et troisième élargissements de la Communauté européenne au Sud et à l'Est). Une intégration profonde (marchés financiers, mobilité des personnes) exige une plus grande confiance qu’une intégration superficielle (le fait de simplement supprimer les barrières commerciales imposées par les politiques). La confiance est plus facile à établir dans une petite communauté (comme la Communauté d'Afrique de l'Est) et dans des contextes moins diversifiés. En raison du manque de la confiance nécessaire pour déléguer l'autorité à des institutions supranationales, embrasser la diversité pour satisfaire des objectifs politiques entrave l'intégration profonde.

Les règles d'origine, nécessaires pour empêcher le détournement des échanges dans les zones de libre-échange, doivent être simples ; par exemple une règle unique comme une teneur en valeur régionale avec un seuil bas. Comme le prévoit le traité, les membres doivent jouer le jeu et comptabiliser les obstacles non tarifaires au commerce difficiles à identifier, comme les restrictions quantitatives et les obstacles techniques au commerce. Tout aussi important, les membres de la ZLECTA doivent résister à l'augmentation de la protection contre les fournisseurs extérieurs d'intermédiaires le long des chaînes de valeur. Le second défi, plus difficile à relever, consiste à faire pression pour une plus grande subsidiarité nécessaire pour stimuler la fourniture de biens publics régionaux (BPR), tout en gardant à l'esprit que l'on ne saurait trop insister sur l'immensité de l'ambition de l'unité africaine. Le continent africain compte le plus grand nombre de pays par continent et la plus grande part de frontières artificielles. Le paysage politique africain présente un fort cloisonnement ethnique (la part moyenne de la population d'un pays moyen issue d'ethnies cloisonnées est de 47 % en Afrique alors qu'elle est de 18 % pour les pays non africains). Un décompte de 835 tribus montre que 40 % d'entre elles sont séparées par des frontières. Michalopoulos et Papaiaonnou estiment que l'intensité des conflits est environ 40% plus élevée, la durée du conflit 50%- 60% plus élevée, et la probabilité de conflit 8% plus élevée dans les patries des groupes cloisonnés. L'intégration régionale a toujours été plus qu'un simple accès au marché. La coopération a toujours été importante, ne serait-ce qu'en raison de la nécessité de disposer de voies ferrées, de routes et d'autres moyens de communication. Aujourd'hui, la coopération attire davantage l'attention car les liens physiques croissants à travers le continent africain ont étendu les externalités environnementales au- delà des juridictions nationales. En effet, les accords d'intégration régionale sont désormais désignés sous le terme de ‘coopération et intégration régionales’. La caractéristique distinctive des biens publics

régionaux

est

que,

contrairement aux biens publics nationaux, il n'existe pas un seul organisme ayant l'autorité d'un État pour assurer la fourniture du bien (comme la police ou la défense nationale). En d'autres termes, la contrainte de la souveraineté implique que les BPR soient auto-exécutoires. En Afrique, chaque État conserve un droit de veto et les organisations régionales (par exemple, rivière et lac, paix et sécurité ; énergie), lorsqu'elles sont opérationnelles, fonctionnent comme des secrétariats qui coordonnent et/ou harmonisent les politiques, établissent des normes ou fournissent des services. Ces organisations n'ont aucune autorité. Cela crée des problèmes d'auto- application pour les 15 programmes phares identifiés dans l'agenda de l'UA2063. Ces institutions supranationales, comme le secrétariat de la ZLECTA récemment créé, sont toujours aux mains des gouvernements nationaux qui poursuivent les intérêts de leur pays. Même dans l'Union européenne, où la Cour de justice européenne et la Commission européenne jouissent d'une certaine indépendance, la "réaction en chaîne" espérée vers une "union de plus en plus étroite" fondée sur la stratégie gradualiste est toujours en cours. En l'absence d'une union bancaire et d'une union fiscale, l'Euro reste une maison à moitié construite. Une plus grande intégration viendra-t-elle à la rescousse ? Dans le cas de la ZLECTA, un mécanisme efficace de règlement de différends, comme celui de l'OMC, est nécessaire (mais pas nécessairement suffisant) pour sanctionner les membres qui ne respectent pas les règles. Cela nécessitera une coopération entre tous les membres. Il est à espérer que les premiers résultats permettront d'atténuer les compromis entre les avantages de l'intégration et les coûts de l'hétérogénéité découlant des différents traits politiques, économiques et culturels et des préférences conflictuelles en matière de biens et de politiques publics.

…au trilemme…

Avec laZLECAopérationnelledepuis ce mois de janvier, trois objectifs s'affrontent pour les intégrateurs africains. Premièrement, la solidarité panafricaine entre les différents États du continent. Deuxièmement, des adhésions importantes aux marchés entièrement intégrés pour briser la malédiction des petits marchés. Après avoir observé que le Produit National Brut (PNB) de l’Afrique sub-saharienne était à peu prèséquivalent àcelui de laBelgique, mon collègue de l'époque, Faezeh Foroutan, notait en 1992 qu'il serait difficile d'imaginer la Belgique divisée en "une quarantaine de pays indépendants, chacun ayant

En bref, la ZLECA est confronté à un trilemme. Les intégrateurs doivent abandonner au moins un objectif. Jusqu'à présent, une intégration plus effective (intégration des services, y compris la libre circulation des personnes) est effectivement mise de côté. L'accent est mis sur l'élimination des droits de douane sur 97 % des lignes tarifaires sur une période de 10 à 15 ans. L'intégration superficielle est la première étape inévitable pour établir la confiance dans n'importe quel paysage, en particulier en Afrique.

…à deux défis à l’horizon.

ses propres marchés de biens et de facteurs isolés". Troisièmement, une intégration profonde dans les CER à faible adhésion (par exemple, la Communauté d'Afrique de l'Est) pour récolter tous les avantages de l'intégration. La solidarité demande un Traitement spécial et différencié (TSD) pour les membres les moins développés (les 32 pays les moins avancés (PMA)), ainsi que des ressources financières (qui font défaut) pour compenser les coûts d'intégration. La feuille de route de l'UA préconise de renforcer l'intégration tout en tenant compte de la diversité africaine. La solidarité panafricaine domine toujours la rhétorique politique quand il s’agit de la reconstruction de l'Afrique, la consolidation de l'unité, l'autosuffisance et la garantie de la paix et de la sécurité. Des adhésions importantes aux marchés entièrement intégrés excluent le TSD. En raison de la grande hétérogénéité entre les membres des CER (grands et petits, côtiers et enclavés, riches en ressources

Un premier défi immédiat consiste à reconnaître que le nouveau régionalisme, appelé régionalisme du 21e siècle par Baldwin, ne consiste plus en un échange d'accès au marché aux dépens des personnes venant de l’extérieur (comme ce fut le cas avec le régionalisme du 20e siècle). Le nouveau régionalisme consiste à ouvrir les marchés en échange d'investissements directs étrangers, provenant ici d'autres partenaires africains et ceux basés à l'extérieur du continent. Pour encourager l'externalisation - la manifestation du commerce de la chaîne d'approvisionnement - il faut au moins éliminer les droits de douane sur le commerce intra-africain, ce qui est plus que ce qui a été convenu pour la phase I. Les négociateurs de la ZLECA ont convenu d'exclure de la libéralisation 3 % des lignes tarifaires tant que la valeur de ces importations ne dépasse pas 10 % des importations totales. Pour les listes de produits sensibles couvrant jusqu'à 7 % des lignes tarifaires, les réductions peuvent commencer dès la sixième année sur une période de 10 ans (13 ans pour les 32 PMA).

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