Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

2021

Il n’est pas possible, en réalité, il est bel et bien là, à l’œuvre, même si nous ne le (re)connaissons pas. L’Occident pourrait ainsi encore avoir besoin de l’Afrique. Non pas pour conforter davantage sa puissance, mais pour se renouveler en dépoussiérant les concepts et les modèles sociaux qu’il a déterminés et qu’il exporte partout dans le monde ; et tracer ainsi une voie de sortie du système mortifère dont il est la pierre angulaire. Et il y va du salut de chacun de revendiquer un nouveau monde, en faisant sien ce que Mahmoud Darwich appelle la « poésie politique », qui vient en réponse aux réalités de l’histoire tout en nous contraignant à l’espoir. Or quel autre endroit de la planète permettrait de repenser le lien tout en cheminant vers soi, de penser l’altérité et, de ce fait, l’intériorité, si ce n’est cette Afrique qui a déjà tant offert sans que jamais rien ne lui ait été rendu ? Il faudra alors s’armer de courage afin de déplacer notre regard et changer de boussole pour ne puiser chez celui qui semble, à tort, si étranger, non pas les minerais, mais la force, la sagesse et l’humilité, tout ce qui peut être pris chez l’autre sans jamais l’en dépouiller.

codes de dizaines de communautés différentes – il faut se côtoyer. Tout tend à cultiver le lien ou du moins à ne pas le briser. Si l’Afrique que j’ai rencontrée est un pied-de-nez à l’histoire, elle est aussi un défi à la rationalité telle que nous en usons, nous, qui vivons en Occident ou en ses lieux mimétiques, et qui tend à simplifier ce qui ne relève pas d’elle. Elle, qui veut tout comprendre, dissèque les strates sociales, détaille et accumule les transactions économiques, les taux, les quotients, les pourcentages. Les us et coutumes sont examinés au microscope des sciences sociales. La vie et la mort sont abordés comme les variables d’ajustement des économies qui graduent tout, des utérus aux cercueils. Mais cette forme de rationalité est démunie lorsqu’il s’agit de rendre compte de la richesse et de la complexité d’une vie qui ne reconnaît qu’en elle-même sa valeur cardinale et dont les épiphénomènes n’obéissent à nuls concept ou catégorie préétablis. Comment qualifier un homme qui ne possède rien de matériel mais qui s’offusque si vous sous-entendez qu’il est pauvre, puisqu'il n'a pas faim ? Et celui qui fait paître son troupeau à cent têtes et qui ne se dit pas riche parce que l'animal, étant une vie, ne peut être un bien ? Comment mesurer, non pas la richesse et la pauvreté, mais la noblesse et la frugalité ? Je ne voudrais pas commettre l’erreur de m’inventer un contre-fantasme. Evidemment que ces structures et les communautés qu’elles soutiennent sont imparfaites. Elles ont été modifiées, érodées et modelées par les bouleversements qu’elles ont connus ; elles ont subi et subissent encore des pressions politiques et économiques en vue d’être instrumentalisées. Elles sont surtout à l’image de l’humain et de ses failles. Loin de moi, donc, l’idée de succomber à l’attrait d’une chimérique pureté originelle qu’incarneraient ces formes sociales, qui seraient à encenser ou à idéaliser. Il s’agit plutôt de

reconnaître cette part d’irréductible chez l’autre en même temps que sa force intrinsèque et son droit à se construire partant de lui-même. Puisqu’elles ne se sont pas (entièrement) oubliées, les sociétés africaines ont la capacité de s’éloigner du projet social qui leur est proposé, voire imposé, par l’actuel système économique et politique, et d’être le laboratoire de leur propre devenir. Mais peut-être aussi, celui de l’humanité toute entière qui - alors que la course à la modernité, au capital et à la technicité est à bout de souffle - est en droit d’espérer qu’un autre référentiel soit possible pour s’aborder et aborder le monde. Quel autre endroit de la planète permettrait de repenser le lien tout en cheminant vers soi, de penser l’altérité et, de ce fait, l’intériorité

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Vol 1 • N° 2 • Chemins d’Afrique 2021

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