Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

2021 Chemins d’Afrique

Globalisation et inégalité en Afrique Par Eric Maskin

supposer qu’un pays est riche parce qu'il a une plus forte proportion de travailleurs hautement qualifiés que le pays en développement. Cela veut dire que le pays riche dispose d'un avantage comparatif dans la production de biens nécessitant une forte proportion de travailleurs hautement qualifiés, par exemple des logiciels informatiques. En revanche, le pays en développement dispose d'un avantage comparatif en fournissant des biens de consommation pour lesquels la compétence n'est pas aussi importante, la production de riz, par exemple. Pour comprendre l'effet de la mondialisation, examinons les modèles de production avant et après : avant, c’est-à-dire avant que les deux pays ne puissent commercer entre eux, et après, c’est-à- dire quand le commerce est possible. La différence entre les deux peut être attribuée aux échanges commerciaux qui s’établissent. Avant la mondialisation, les entreprises du pays riche devaient produire à la fois des logiciels et du riz, deux produits demandés par leurs consommateurs mais impossible à importer. De même, les entreprises des pays en développement devaient produire les deux biens. Mais, en un sens, la production de logiciels par le pays en développement est « inefficace », parce que la main-d'œuvre, peu qualifiée, est plus apte à produire du riz, et plus utile dans ce domaine que dans la production de logiciels. Si la production est détournée du riz vers le logiciel, la demande de main-d'œuvre est réduite et les salaires peu qualifiés dans les pays en développement sont plus bas. Les travailleurs hautement qualifiés, en revanche, profitent de la production de logiciels : leurs salaires sont proportionnellement plus élevés. Supposons maintenant que les portes du commerce s’ouvrent entre les deux pays. Le pays riche va transférer la production du riz vers le logiciel, et importer du riz du pays en développement. Ce dernier va orienter sa production vers le riz et importer des logiciels du pays riche. Ainsi, le pays en développement produit désormais plus de riz et moins de logiciels, ce qui accroît la demande de travailleurs peu qualifiés. Le résultat est que les salaires des employés peu qualifiés augmente, celui des employées qualifiés baisse : il y a réduction de l’inégalité.

L a mondialisation a eu un impact considérable sur de nombreux pays africains au cours des 20 dernières années. Elle a considérablement élargi le marché de leurs exportations et leur a permis de se spécialiser davantage dans les produits pour lesquels ils disposent d'un avantage comparatif. Elle a permis aussi aux consommateurs de ces pays d'avoir accès à une gamme de produits dont ils ne bénéficieraient pas autrement. En outre, elle a entraîné une croissance impressionnante du PIB dans une bonne partie de l'Afrique ; elle a été une force importante pour améliorer la prospérité moyenne. Mais il y a un revers à la médaille. En particulier, l'écart entre les revenus des riches et des pauvres – c'est-à- dire l'inégalité des revenus – s'est considérablement creusé dans de nombreux pays africains, et la faute en incombe en grande partie à la mondialisation des marchés. Cette inégalité croissante est regrettable à au moins trois égards. Premièrement, il viole le principe moral largement répandu selon lequel les gens devraient être traités de la même façon. Bien sûr, une certaine inégalité est inévitable dans une économie moderne et performante. Dans une certaine mesure, elle peut même être utile en incitant les membres les plus productifs de la société à maintenir une productivité élevée. Mais un écart de revenu trop important est un scandale pour la plupart des gens. Deuxièmement, la tendance récente à l'inégalité a laissé à la traîne la plupart des pauvres, qui continuent de vivre dans la pauvreté. Ainsi, même si l'on ne se préoccupe pas de l'accroissement des inégalités en soi, on peut fort bien s'opposer à une situation où la croissance élevée du PIB ne parvient pas à améliorer le niveau de vie d’une grande partie de la population. Troisièmement, l'expérience historique nous apprend que les pays à forte inégalité ont tendance à être plus instables politiquement et socialement ; l'inégalité croissante déchire le tissu social. Ainsi, dans le but purement pragmatique de maintenir l'unité d’un pays, ses dirigeants chercheront à réduire les inégalités.

Pour comprendre l'effet de la mondialisation, examinons les modèles de production avant et après une aggravation des inégalités dans les pays africains ? La réponse courte est oui, parce que cette tendance contredit la théorie de l'avantage comparatif, ligne de pensée qui remonte à près de 200 ans avec David Ricardo (Ricardo 1821). La théorie explique de façon impressionnante les tendances historiques du commerce international, et elle prédit – sans ambiguïté aucune – que la mondialisation devrait réduire les inégalités dans l’économie du développement. Puisque l'avantage comparatif a été une idée si importante en économie, examinons pourquoi elle fait cette prévision. La théorie affirme que, du point de vue des échanges commerciaux, la différence importante entre les pays réside dans leurs dotations relatives de « facteurs de production », qui sont les intrants du processus de production. Étant donné que nous nous préoccupons ici des revenus et des inégalités de revenus, le travail est l'intrant le plus pertinent pour nous. Supposons qu'il se présente sous deux formes : le travail hautement qualifié et le travail peu qualifié. Pour comprendre les implications de cette théorie pour un pays en développement, il faut établir une comparaison avec un pays riche. On peut

Faut-il s'étonner que la mondialisation ait conduit à

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