Chemins d'Afrique VOL 1-No 2-June 2021

Chemins d’Afrique

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Mais nous devons aller beaucoup plus loin. L’Afrique doit habiller l’Afrique, Il n’est pas obligatoire que nos collections viennent d’Europe ou d’Asie. L’Afrique peut même habiller Hollywood, et le monde entier. Quelles solutions ? D’abord, nos dirigeants et nos élites doivent comprendre le potentiel économique de la culture et de la mode. C’est la première étape. Il y a un grand travail à faire sur nous-mêmes, sur nos mentalités. Nous devons mieux réfléchir à nos choix et à nos priorités. Ensuite, les Etats africains doivent mettre à disposition des promoteurs culturels et artistiques des terrains pour construire des écoles de formation de référence et les équiper. Les pouvoirs publics pourraient également aider à organiser les partenariats entre ces instituts de formation et de grandes écoles américaines, européennes ou asiatiques. L’expertise extérieure est indispensable car nous n’avons pas suffisamment d’enseignants de niveau international au Niger, en Côte d’Ivoire ou au Maroc. Les Etats peuvent aider à négocier la signature de conventions avec des pays où l’enseignement de la mode est une pratique déjà très ancienne. Le saviez-vous ? L’Institut français de la mode a créé un doctorat de la mode ! Je suis le président de la Société africaine des créateurs de mode depuis 1994. Pathe O. est mon adjoint. Nous avons été formés pour le métier que nous exerçons. Je suis très

la scène internationale. Je pense par exemple au Camerounais Imane Ayissi, qui s’est imposé à Paris. Il faudrait que l’Afrique trouve la bonne formule pour soutenir financièrement la production de masse de son travail, et celui de très nombreux autres Camerounais talentueux dans la mode. Idem pour les créateurs ivoiriens, sud-africains, etc. Nos chefs d’Etat devraient lancer un fonds pour le financement de la mode et des industries culturelles. Le secteur privé doit africain absolument s’investir dans la mode. Tout créateur africain de grand talent, reconnu pour la qualité de son travail, devrait être accompagné par un financier. Un tel rôle ne doit pas être abandonné seulement aux banques. D’ailleurs, celles-ci font peu de crédit aux créateurs et aux acteurs culturels : elles demandent des garanties que nous ne pouvons pas leur fournir. Certes, des institutions comme la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale devrait investir des ressources dans l’industrie de la mode. Mais les milliardaires africains comme Aliko Dangoté et d’autres pourraient se fixer comme règle de consacrer une fraction substantielle de leur fortune au développement des arts et de la mode. Car en plus de l’éducation et de la formation, il faudrait organiser la production de masse, comme la Chine ou l’Inde l’ont fait. La haute couture, c’est de la production de qualité sur la base de recherche sophistiquée et de créations originales. Cela débouche sur des défilés. C’est bien, mais cela ne suffit pas. Car il s’agit d’un marché minuscule : quelques épouses de chefs d’Etat et quelques personnalités et vedettes. Il faut également organiser le système de production d’un prêt-à-porter africain qui viserait un plus large public. Dans l’habillement, nous travaillons surtout avec du coton. Mais nous utilisons aussi d’autres matières comme la soie ou le raphia. Et nous faisons des tissages et des mixages de différentes matières pour créer et produire des produits originaux et meilleurs. Le coton et le cuir africains sont reconnus dans le monde pour leur excellente qualité. Pourtant, moins de 3 pour cent de ces belles matières sont vraiment traitées en Afrique. Nous exportons des matières brutes et rachetons à prix d’ord notre propre coton traité à l’étranger. L’Afrique a doit créer, produire et vendre ses propres produits de mode. Elle a besoin de ses propres vêtements, de ses propres jeans, tee-shirts, chaussures, écharpes, etc. Tout ne doit pas nous arriver de Chine ou d’Europe. Si nos Etats fixaient à 30 pour cent au minimum la quantité d’or et d’autres matières premières africaines qui doivent être traitées sur le continent, cela créerait de la valeur ajoutée, de la richesse et des emplois. Cela nous permettrait de donner leur chance aux jeunes Africains. Beaucoup d’entre eux sont très talentueux mais ne disposent ni de formation de qualité ni de moyens. J’ai lancé le FIMA (Festival international de la mode en Afrique) pour mettre en exergue les possibilités du

fier de la relève, de tous ces jeunes très doués qui s’affirment désormais sur

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